Micro-trottoir du mercredi/ L’échec de la mobilisation autour du concert d’Aïcha Koné; Une affaire politique?

Le concert célébrant les 50 ans de carrière de la légendaire Aïcha Koné, grande figure de la musique ivoirienne, n’a pas rencontré le succès escompté. Le Palais de la Culture, loin d’être rempli, a sonné creux pour un événement qui aurait pourtant dû marquer un moment historique dans le paysage culturel national. Un constat amer qui a suscité de nombreuses interrogations et relancé un débat brûlant. Certains observateurs estiment que ce déclin dans l'engouement populaire pourrait être lié aux prises de positions politiques de l'artiste, qui ne sembleraient pas toujours s’alignées avec celles du parti au pouvoir. Cette situation soulève une question importante : la politique a-t-elle irrémédiablement pénétré le monde de la musique et de la culture en Côte d'Ivoire ?
Nous avons tendu notre micro à la population ivoirienne pour répondre à cette question.
Des avis partagés entre facteurs économiques, générationnels et politiques
Pour M. Kanté Lamine, 42 ans, responsable dans une entreprise de la place, l'explication est avant tout économique :
« J’aurais aimé assister au concert de maman Aïcha mais je n’avais pas les moyens. Elle a marqué notre époque, c’est sûr, mais beaucoup sont dans la même situation que moi. Ce n’est pas une question de politique. »
Même son de cloche du côté de Koné Amidou, étudiant en master 2 d’économie, qui pointe plutôt un problème de génération et de communication :
« Beaucoup de jeunes ne connaissent pas vraiment ses chansons. Ceux qui la connaissent sont plus âgés et n’étaient peut-être pas bien informés. Ce n’est pas forcément la faute à la politique. »
Mais pour d’autres, l’ombre de la politique est bien réelle. Kouakou Marcelin, 45 ans, agent de sécurité, n’y va pas par quatre chemins :
« La politique s’est immiscée dans la culture. Si le concert a été boycotté, c’est sûrement parce qu’elle ne suit pas la ligne du parti au pouvoir. Ce n’est pas normal. Chacun a le droit de dire ce qu’il pense. »
Cédric Beda, mécanicien, soulève également une interrogation de fond :
« Faut-il forcément être du bon côté politique pour réussir dans ce pays ? C’est ça la vraie question. »
Une politisation jugée excessive par certains
Pour Hasta Sidibé, étudiante, la situation est plus tranchée :
« Oui c'est bien à cause de ses prises de position. Aïcha exagère. Aller jusqu'a traiter nos soldats retenus au Burkina d'étranger, pour faire plaisir aux GOR ( pro-Gbagbo). Il fallait s'attendre naturellement à ce résultat. J'espère que cela servira de leçon à tous les artistes, surtout ceux qui voudront emprunter cette voie, pour s'attirer la sympathie ou rechercher la récompense financière d'un quelconque homme politique»
Un avis partagé par Yéo Alassane, entrepreneur :
« Dès qu’un artiste critique le gouvernement, il est mis à l’écart. La politique utilise trop les artistes aujourd’hui. Ce n’est pas bon pour la culture. »
Moustapha Koné, infirmier, met en lumière une autre dimension du problème :
« Il y a eu peu de pub, les billets étaient chers, et on sent aussi l’empreinte politique. Aujourd’hui, pour faire un gros concert, il faut forcément l’aval des autorités. »

La nécessité de distinguer culture et politique
Beaucoup s’accordent à dire que les deux domaines doivent coexister sans se confondre. C’est le point de vue de Traoré Naminata, élève en terminale :
« Un artiste peut avoir ses idées, mais sa musique doit être jugée pour ce qu’elle est. La culture fait réfléchir, la politique gouverne. Ce n’est pas pareil. »
Mamadou Sanogo, 24 ans, étudiant, va dans le même sens :
« Un artiste peut parler de politique, mais il ne faut pas que la politique contrôle la musique. »
Soro Sita, commerçante, le résume simplement :
« Quand je vais à un concert, c’est pour la musique, pas pour les opinions. Si la musique est bonne, on vient. »
La politique, un terrain légitime pour les artistes ?
Si les opinions divergent sur l’impact de la politique dans l’échec du concert de Aïche Koné, une majorité s’accorde à reconnaître que les artistes ont le droit de s’exprimer sur les questions politiques. Comme le rappelle Koné Amidou :
« Nous sommes en démocratie. Les artistes peuvent parler de tout, y compris de politique. »
Notons que l’échec de la mobilisation autour du concert d’Aïcha Koné révèle une réalité complexe où se mêlent enjeux économiques, fractures générationnelles et climat politique tendu. Il pose une question de fond : jusqu’où la politique peut-elle s’immiscer dans la sphère culturelle ? Et surtout, comment préserver l’indépendance de la création artistique dans un pays où les lignes entre engagement et récupération semblent de plus en plus floues ? Ce débat, loin d’être clos, mérite d’être poursuivi, pour garantir à la culture sa liberté et sa vocation première : rassembler, interroger, transcender.

De: Barry B._Saturnin O._Sara_Mariam S._Audrey T.
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